Connecter, prendre soins et faire ensemble : Les Musées en pleine transformation psychosociale
- Par Patrick Dufault, CRHA
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 14 heures
L'évolution du rôle des institutions muséales est un sujet de plus en plus prégnant, particulièrement dans un contexte post-pandémique et face à la modernisation du régime de santé et sécurité au travail (LSST) qui nous enjoint de considérer la dignité psychique des travailleurs.
Au cœur de cette transformation se trouve la notion de "care" – prendre soin – qui s'étend bien au-delà de la simple conservation des collections pour englober le bien-être des employés, l'expérience des visiteurs, les relations avec les partenaires et l'engagement communautaire.
Lors de notre table ronde en matinée du Congrès SMQ 2025, nous avons exploré comment cette culture du "care" se manifeste concrètement au sein de trois institutions muséales, avec les éclairages de leaders inspirantes : Guylaine Archambault du Musée de la santé Armand-Frappier, Jasmine Colizza de la Salle Alfred-Pellan, et Catherine Lafranchise de DRAC - Art actuel Drummondville.
Le lien intrinsèque entre expérience employé et expérience visiteur
Patrick Dufault, l'animateur de la table ronde, a souligné un lien intrinsèque entre l'expérience employé (EX) et l'expérience visiteur (CX). Son expertise RH et d’enseignant en Action culturelle prend tout son sens dans cette discussion.
Pour lui, une culture organisationnelle axée sur le "prendre soin" de ses équipes est fondamentale pour "donner du sens" à la visite et réussir à "faire ensemble" de manière authentique. Le bien-être des employés façonne l'accueil des visiteurs, et une collaboration saine et riche en découle. Des employés épanouis sont les meilleurs ambassadeurs d'une expérience visiteur positive, stimulant l'envie de revenir et contribuant ainsi aux objectifs quantitatifs et qualitatifs nécessaires à la prospérité des institutions muséales.
Pourquoi le bien-être est-il au cœur des institutions muséales ?
Pour Guylaine Archambault, "contribuer au bien-être des personnes et des collectivités" fait partie intégrante de la mission du Musée de la santé Armand-Frappier. Après avoir repoussé les limites de transformation et de croissance, l'équipe a choisi de "faire moins et faire mieux, de ralentir et de prendre soin". Catherine Lafranchise de DRAC - Art actuel Drummondville insiste sur le fait que les employés sont le "cœur battant" de l'organisation, et qu'il est naturel d'étendre la bienveillance aux équipes, reconnaissant qu'ils sont la force vive qui fait rayonner la culture. Jasmine Colizza de la Salle Alfred-Pellan a partagé les apprentissages de la période COVID, où l'art s'est révélé être un service essentiel et un lieu refuge, tout en soulignant la fatigue des équipes. Le constat : l'art peut être un levier de mieux-être collectif, mais il est impératif de prendre soin de soi comme équipe pour s’offrir au public.
Comment le bien-être s'exprime-t-il au quotidien de ses institutions?
Les exemples concrets abondent. Au Musée de la santé Armand-Frappier, le bien-être se traduit par le plaisir de venir au travail, des collègues souriants et collaborants, la connaissance des rôles de chacun, l'autonomie, le sentiment d'appartenance, la reconnaissance, l'équité, la conciliation travail-vie personnelle, des activités sociales, des séances de yoga et même des midis "Mario Kart".
À la Salle Alfred-Pellan, Jasmine mentionne que cela passe par un plan stratégique co-construit, un énoncé du travail ensemble, la réduction des plages horaires d'exposition pour allonger les semaines de montage et pour maximiser les projets de médiation, un accompagnement muséologique renforcé pour les artistes, et des activités sensibles et inclusives pour les publics. L'institution vise également à devenir un "Forum ouvert agora" pour l'engagement citoyen.
Pour Catherine, DRAC - Art actuel Drummondville cultive une culture de bienveillance avec des moments pour décrocher (activités collectives, pauses smoothies, massages). L'institution est aussi devenue un lieu d'échanges où l'on prend le temps avec les aînés pour briser leur isolement, priorisant l'humain avant tout.
Défis et solutions pour une inclusion pratique de ces approches de bien-être
Instaurer ces pratiques n'est pas sans défis. Le manque de temps est un obstacle récurrent pour les petites équipes qui visent l'excellence. Il faut apprendre à dire "non", faire moins, et mettre en place une gestion participative. Les défis structurels (reconnaissance, visibilité), de ressources (stabilisation de postes, adéquation programmation-moyens) et sociétaux (attentes élevées en inclusion) sont également à considérer comme enjeux à intégrer.
Pour passer de la vision à l'inclusion pratique, il faut des outils concrets et s'entourer des bonnes personnes. DRAC - Art actuel Drummondville a collaboré avec Cœsion SP pour un cadre structurant. La Salle Alfred-Pellan propose trois étapes : s'ancrer par des partenariats, accueillir autrement en invitant et incluant, et créer du lien et du sens par des médiations interactives.
Ralentir et rester performant : un paradoxe réinventé
La question de "ralentir tout en restant performant" est cruciale. Guylaine Archambault suggère d'accepter collectivement des indicateurs de résultats qualitatifs plutôt que seulement quantitatifs (nombre de visiteurs et revenus), et de travailler en partenariat pour mutualiser les ressources. Jasmine Colizza évoque la "gouvernance du care" avec des calendriers réalistes et une priorisation des tâches. Faire moins, mais mieux…
La performance est réinterprétée, mesurant l'impact psychosocial au-delà de la fréquentation, avec des indicateurs de réussite tels que la durée de visite, la diversité de la programmation et la participation active. Des initiatives comme les "Jeudis au ralenti" en sont des exemples concrets. Catherine Lafranchise rappelle qu'"on n'opère pas à cœur ouvert" et qu'il est essentiel de prendre le temps de bien faire les choses, même si les bailleurs de fonds privilégient souvent le quantitatif.
En somme, la notion de "caring museum" pousse les musées à reconsidérer leur rôle, passant d'un lieu de préservation à un agent de transformation sociale, en priorisant l'humain et les relations au sein de l'organisation et avec la communauté. Les gestionnaires deviennent des animateurs d'équipe et de communauté, insistant sur la dimension affective et bienveillante pour créer un climat de sécurité psychologique propice au "faire ensemble" sainement. Empathie, pouvoir d'agir, expérience, et le concept du "faire ensemble / co-créer" sont les mots-clés qui ressortent de ces échanges enrichissants.
Patrick rappelle que depuis octobre 2021, la LSST nous invite à considérer la dignité psychique des travailleurs.
Il s'agit de prendre soin de leur santé psychologique et d'assurer le bien-être.
Considérer la dignité, c’est considérer l’expérience que l’on fait vivre.
Il est important de présenter comment une culture organisationnelle axée sur le "Prendre soin" de ses équipes est fondamentale pour "Donner du sens" à la visite et réussir à "Faire ensemble" se relier authentiquement autour d’une mission, d’un projet ou d’un lieu.
Réussir à créer un climat de confiance, d'engagement et de bien-être émotionnel est crucial, en priorisant l'humain et les relations au sein de l'organisation et avec la communauté.
Nous avons vu que le contexte actuel, la pandémie et suite à la modernisation du régime SST, le "care museum" va au-delà de la conservation des collections pour englober plusieurs dimensions :
Le bien-être des employés : Il est devenu essentiel de prendre soin des équipes. Des initiatives concrètes comme la flexibilité des horaires, les espaces de travail ergonomiques et les activités de bien-être sont mises en place. Penser le bien-être, mais aussi l’expérience c’est porter une attention particulière aux émotions que l’on vit et fait vivre dans le musée.
L'expérience des visiteurs : Le "care" se manifeste par l'empathie et la création d'espaces où les visiteurs se sentent accueillis et valorisés par une participation intersubjective. Cela peut prendre la forme d'activités pour des publics spécifiques, comme des espaces de repos pour les enfants ayant des besoins particuliers, ou des fêtes interculturelles et une médiation culturelle flexible et adaptée
Les relations avec les partenaires : Le "care" s'étend aux partenaires et aux artistes, en s'assurant que leurs valeurs s'alignent avec celles de l'institution et en améliorant leurs conditions de travail.
L'engagement communautaire : Les musées adoptent une approche de "co-construction" et de "délégation de pouvoir" pour impliquer activement la communauté dans leurs projets, transformant ainsi l'institution en un espace de dialogue et de collaboration
Conclusion
Patrick a inviter les organisations à envisager le lien entre l’expérience des employés et celle des visiteurs… De les voir comme le miroir de l'expérience. Quand le bien-être des employés façonne l'accueil des visiteurs, la collaboration est saine et riche.
Les employés qui vivent une bonne expérience peuvent mieux faire vivre une expérience visiteurs saison après saison. Une expérience de visite positive permet de stimuler l’envie de revenir. Les visiteurs qui reviennent et rencontrent la même expérience positive reviendront encore et en parleront. Cela implique une équipe stable et engagée. On rencontre ainsi les KPI quantitatifs et qualitatifs.
On a pu constater que les gestionnaires ne sont plus seulement dédiés aux tâches de gestion et de financement, mais aussi à l'animation d'équipe et de la communauté, en insistant sur la dimension bienveillante, de reconnaître et de gérer les émotions au sein de l’organisation, afin de créer un climat de sécurité psychologique propice au "faire ensemble" sainement.
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