Déracinement et épuisement (burn out) au travail
- Patrick Dufault, CRHA
- 2 mai
- 3 min de lecture
Il est intéressant de puiser dans la pensée philosophique pour comprendre les facteurs d’épuisement au travail.
Ici, j’utilise les concepts de la défunte Simone Weil, philosophe existentialiste Française. Elle s’est intéressée à la condition ouvrière de l’entre deux guerres.
Bien que Simone Weil n'ait pas utilisé le terme "burn-out" (épuisement professionnel), qui est un concept psychologique plus récent, on peut établir des liens très pertinents entre son analyse du déracinement et les causes profondes du burn-out dans le monde du travail contemporain.
Le déracinement, tel que décrit par Weil, crée un terrain fertile pour l'épuisement professionnel.
Voici plusieurs points de connexion :
Perte de sens et de connexion au travail réel :
* Déracinement : Weil dénonçait le travail industriel parcellisé et répétitif qui coupe l'ouvrier du sens de son travail, du produit fini, et de la compréhension globale du processus.
C'est une forme de déracinement par rapport à son activité propre et à sa contribution au monde. L'abstraction croissante (importance de l'argent, de la bureaucratie) coupe aussi du réel.
* Burn-out : La perte de sens au travail, le sentiment que ce que l'on fait est inutile, absurde ou déconnecté des besoins réels (parfois appelé "brown-out" ou "bore-out", des cousins du burn-out) est un facteur majeur d'épuisement. L'excès de tâches administratives ou de reporting déconnectées du cœur de métier peut y contribuer.
* Lien et connexion : Le travail qui déracine, qui ne nourrit pas l'âme par le sens et la connexion au réel, épuise psychologiquement et peut mener au burn-out.
Isolement et manque de communauté :
* Déracinement : L'enracinement implique l'appartenance à des communautés vivantes (professionnelles, locales, sociales...). Le déracinement isole l'individu.
* Burn-out : Le manque de soutien social au travail (collègues, supérieurs), une mauvaise ambiance, une culture d'entreprise toxique ou excessivement individualiste sont des facteurs de risque majeurs de burn-out.
* Lien et connexion : Un milieu de travail qui favorise l'isolement plutôt que la solidarité et l'entraide contribue au déracinement de l'individu au sein de son environnement professionnel, le rendant plus vulnérable à l'épuisement.
Manque de contrôle et d'autonomie :
* Déracinement : L'aliénation décrite par Weil dans le travail ouvrier implique une perte totale de contrôle sur le rythme, les méthodes et la finalité du travail. L'individu devient un simple exécutant dépossédé de son initiative.
* Burn-out : Le manque d'autonomie, l'impossibilité d'influencer les décisions concernant son travail, une charge de travail excessive sur laquelle on n'a pas de prise, sont des causes bien connues de burn-out.
* Lien et connexion : Le sentiment d'impuissance et de perte de contrôle inhérent à certaines formes de travail déracinant est un moteur puissant du stress chronique menant au burn-out.
Conflit de valeurs :
* Déracinement (Weil) : Le déracinement survient aussi quand les impératifs dominants (profit, efficacité à tout prix) écrasent les besoins humains fondamentaux et les valeurs spirituelles ou morales.
* Burn-out : Le conflit entre les valeurs personnelles d'un employé et celles de l'organisation, ou le fait de devoir accomplir des tâches qui vont à l'encontre de son éthique, est une source importante de stress et de cynisme, caractéristiques du burn-out.
* Lien : Travailler dans un système dont les valeurs fondamentales nous déracinent de nos propres convictions profondes est psychologiquement coûteux et peut conduire à l'épuisement.
Précarité et instabilité :
* Déracinement (Weil) : Le déracinement peut être géographique (migration forcée ou économique) mais aussi social (perte de statut, précarité).
* Burn-out : L'insécurité de l'emploi, la précarité, la peur constante de perdre son travail ajoutent une couche de stress chronique significative.
* Lien : L'instabilité professionnelle moderne, qui empêche de "prendre racine" dans un emploi ou une carrière stable, peut être vue comme une forme de déracinement contribuant à l'anxiété et à la vulnérabilité au burn-out.
En conclusion, on peut dire que les conditions de travail qui favorisent le déracinement tel que l'entendait Simone Weil (manque de sens, isolement, perte de contrôle, conflit de valeurs, instabilité) sont très souvent les mêmes que celles identifiées aujourd'hui comme conduisant au burn-out. Le déracinement décrit un état de vulnérabilité et de malnutrition de l'âme qui rend l'individu particulièrement susceptible à l'effondrement face au stress chronique du travail.
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